• LA BANQUE CHINOISE au XIXè siècle

      

      

      

    Au XIXe siècle, cette petite ville devient le plus grand centre bancaire de Chine. Elle ne saura pourtant pas s'adapter à la modernisation économique amorcée en 1860.

     

    Son patrimoine architectural témoigne d'une gloire passée.

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    Longtemps délaissée des circuits touristiques, la ville, classée au Patrimoine mondial par l'Unesco en 1997, révèle une architecture et un pan de l'histoire chinoise assez peu connue, celle des marchands et banquiers du Shanxi.

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    Du XVe au XIXe siècle, Pingyao est un des pôles du commerce et de la banque. Célèbres sous le nom de Jin shang (marchands du Shanxi), ou encore Shanxi piaohao (banquiers du Shanxi), trois communautés de marchands-banquiers coexistent dans la province, celles de Taigu, du district de Qi et de Pingyao, les plus anciennes.

     

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    La plus vieille banque de Chine

     

    Si les fortunes les plus spectaculaires se développent au XIXe siècle, la base de ces activités monétaires lucratives est posée dès la dynastie des Ming entre le XVe et le XVIIe siècle.

     

    Le développement du commerce au Shanxi provient d'accords passés entre le gouvernement impérial et des particuliers pour l'approvisionnement des troupes militaires aux frontières septentrionales.

     

     

     

    En effet, peu de temps après la reconquête du territoire sur la dynastie mongole des Yuan, les dirigeants Ming décident d'installer des colonies militaires chargées de défendre le pays contre les incursions des Mongols. Celles-ci s'implantent, entre autres, au Shaanxi (régions de Suide et Yulin) et au Shanxi (régions de Datong et de Taiyuan).

     

    Leur approvisionnement, en grain notamment, coûte fort cher au gouvernement impérial.

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    C'est pourquoi l'Etat s'en remet à des marchands locaux qui reçoivent en échange des licences d'exploitation d'une partie du monopole national sur le sel.

     

     

     

    Après avoir livré grains et autres denrées, ces marchands obtiennent un billet qui leur permet de retirer une certaine quantité de sel des mines se trouvant sur la côte sud-est. Ils peuvent ensuite le revendre dans des marchés officiels avec un bénéfice substantiel.

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    Ce système assez simple les transforme rapidement

    en « colonies de marchands » (shangtun), qui pratiquent la mise en culture des terres par des travailleurs à gages afin de produire sur place le grain des garnisons.

     

    La contrepartie de la part de l'Etat est toujours d'octroyer des licences. Ces colonies se mettent petit à petit en place à partir de l'ère Xuande (1426-1435), et sont très rentables pour les marchands.

     

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    Vers 1450, les colonies militaires sont progressivement abandonnées. Le système du « grain contre sel » devenant l'unique manière d'approvisionner les frontières, les prix ne cessent de grimper.

      

    A la fin du XIVe siècle, la plupart des transactions s'opèrent en nature, et l'essentiel des ressources de l'Etat provient de l'impôt en grain. Dès le début du XVe siècle, l'usage des lingots d'argent commence à s'imposer dans les régions côtières du sud et de l'est du pays. La pression est si forte que l'administration accepte progressivement les paiements en argent pour les tributs des provinces en 1465, pour les impôts des producteurs de sel en 1475 et en échange des corvées des artisans à partir de la fin du XVe siècle.

     

    De la même façon, dans le système d'échange de sel, les transactions ont lieu à partir de 1492, non plus en grain mais en lingots d'argent. A partir de cette période les marchands du Nord commencent à s'installer dans d'autres régions pour y développer d'autres activités commerciales. Ils fondent des comptoirs jusque dans les zones limitrophes de la Chine : c'est ainsi qu'en 1727 ils sont signalés en Mongolie et aux frontières de la Sibérie où les trafics de fourrures et de tapis contre des briques de thé et des soieries sont florissants. La signature du traité sino-russe de 1792, leur ouvre la porte d'un immense territoire à travers la ville de Kratcha, où se concentrent les comptoirs.

     

    Ces activités se développent durant la période féconde et stable des ères Kangxi (1662-1723) et Qianlong (1736-1796) de la dynastie des Qing. A cette époque, les flux financiers augmentent considérablement. Les marchands du Shanxi participent à cette prospérité et à la mise en place progressive d'un marché intérieur et extérieur chinois. Ainsi se répandent des proverbes tels que : « Partout où il y a des moineaux, il y a des marchands du Shanxi. » A la fin du XVIIIe siècle, certains d'entre eux commencent à s'intéresser aux boutiques de change et de crédit. Ce sont les fameuses « banques du Shanxi » qui feront la prospérité de Pingyao. Leur apogée se situe au XIXe siècle. A cette époque, quarante-trois des cinquante et un piaohao (boutique de moyens de paiement) du pays appartiennent à des personnalités originaires du Shanxi et vingt-trois d'entre elles ont leur maison mère à Pingyao.

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    La plus ancienne - peut-être celle qui inventa le système - est la Rishengchang (Prospérité et Soleil levant), ouverte sans doute entre 1821 et 1838. A l'origine, au milieu du XVIIIe siècle, c'est une maison de commerce spécialisée dans les colorants et les pigments. Son fondateur, un certain Li Zhenghua, installe la maison mère à Pingyao et ouvre des antennes d'abord à Pékin, puis dans certaines provinces du sud du pays. Les risques liés aux transports de fonds entre les localités et les coûts des sociétés de protection des transferts poussent le directeur, Lei Lütai, à mettre en place un système de billets de crédit qui peuvent être honorés dans les différentes succursales de la compagnie. Bientôt, d'autres marchands de Pingyao demandent à bénéficier de ce service, qui devient indépendant de la compagnie de colorants pour devenir la première banque de Chine.

     

    La Rishengchang prospère rapidement. En 1850, il existe dix-huit succursales dans tout le pays et cinq nouvelles sont ouvertes en 1886. La ville de Pékin, à elle seule, en compte quatorze. D'autres marchands du Shanxi suivent ou accompagnent cet exemple. Ils abandonnent leur commerce de soieries ou de thé pour se lancer dans la banque et l'on voit, progressivement, certains se lancer directement, sans l'appui préalable d'un commerce. Avant 1850, dix maisons se partagent l'activité mais leur nombre ne cesse d'augmenter : quatorze en 1861 et jusqu'à trente en 1883. En 1900, on compte des succursales de banques du Shanxi dans près d'une centaine de villes de Chine et de l'étranger : principalement en Corée, au Japon, en Mongolie et jusqu'en Russie.

      

      

     

     

      

      

    Les clients, dans leur majorité, sont des particuliers. Mais les banques du Shanxi travaillent également avec l'Etat chinois. En effet, à partir des années 1860, elles sont chargées de récolter une partie des impôts provinciaux et de les faire parvenir à Pékin. Plusieurs révoltes internes, comme celles des Taiping (1850-1863), rendent en effet la circulation des fonds très dangereuse et aléatoire. En 1861, sur les sept millions de taels attendus, l'Etat n'en reçoit qu'un seul. Il autorise les autorités provinciales à faire appel aux banquiers du Shanxi, dont la réputation de sérieux est déjà bien établie.

      

      

    Entre 1872 et 1893, ils acheminent 30 % de ces impôts au trésor central. Une partie des fonds gouvernementaux est déposée dans les piaohao afin d'être utilisée par les autorités provinciales. Cette proximité avec le pouvoir permet aux banquiers du Shanxi de développer leur activité de banque commerciale à plus grande échelle : prêts aux gouvernements locaux, émissions de billets, financements divers, etc. Il arrive que les piaohao fassent appel aux capitaux dormants d'autres banques pour investir dans de petites activités.

     

    La solidité financière acquise par les marchands du Shanxi depuis les XVe-XVIIe siècles leur permet de se lancer dans cette activité bancaire là où d'autres, à la même époque, auraient sans doute échoué.

     

    L'ancienneté des maisons de commerce et leurs réseaux très solides participent sans doute à cette réussite.

     

    Les activités de billet au porteur ou de lettres de change existaient avant les banques du Shanxi. Utilisés depuis la dynastie des Tang (618-907), des documents gouvernementaux, les feiqian (monnaie volante), permettent de prélever la somme indiquée dans n'importe quel trésor provincial.

      

     

      

      

    Afin de faciliter les échanges, des boutiques de change font leur apparition à Pékin vers la fin du XVIIe siècle. Celles-ci, dans un premier temps, honorent les lettres de crédit puis elles s'adaptent aux différences entre les marchés du nord de la Chine, utilisant de la monnaie de papier, et les provinces de l'Est et du Sud, ne jurant que par les piastres d'argent. Des boutiques de change apparaissent à Shanghai dès les années 1775-1780 et dans les autres provinces à la même période. L'habitude de manipuler de l'argent liquide, de se servir de billets de change et de crédit leur permet de se diversifier assez aisément tout en restant dans une activité connue.

     

     

     

    De très vieux billets de banque chinois

     

    De plus, dès la fin du XVIIe siècle, certains marchands se laissent tenter par des activités d'usure et d'hypothèque à haut rendement financier. En 1664, alors que plus de vingt mille monts-de-piété existent en Chine, près de quatre mille sept cent appartiendraient à des marchands du Shanxi, leur permettant ainsi de disposer de capitaux supplémentaires.

    Le développement des marchés intérieurs et des échanges de marchandises durant la période Qing, l'amélioration des réseaux routiers ainsi que la stabilité nationale participent grandement à l'émergence et au développement des piaohao au milieu du XVIIIe siècle.

     

      

      

    Le monopole de la province du Shanxi et de Pingyao ne se trouve amoindri qu'à la toute fin du XIXe siècle, lorsque certaines boutiques de change du sud de la Chine commencent à ouvrir des succursales hors de leur province : le Zhejiang à partir de l'ère Tongzhi (1862-1875), le Yunnan et le Jiangsu (1883), puis plus tard le Jiangnan. Malgré tout, le Shanxi reste prédominant dans le secteur des transactions financières. Dans les années 1910, quarante-neuf des soixante piaohao appartiennent à ses natifs.

     

    A la fin du XIXe siècle, le marché financier chinois est contrôlé par trois institutions différentes, chacune spécialisée dans un secteur. Les piaohao de Pingyao et du Shanxi contrôlent les transferts de fonds domestiques ; les banques locales ont le monopole des créances du marché intérieur chinois ; les banques étrangères, celui des ports ouverts et concessions et celui du financement de l'import-export.

     

    Progressivement, la situation évolue. En 1897, l'Imperial Bank of China, première banque moderne de Chine, est inaugurée à Shanghai. Sa création est rendue nécessaire par l'évolution des besoins d'investissements industriels que connaît le pays et que les institutionsexistantes ne peuvent satisfaire. En effet, alors que la Chine est confrontée aux crises militaires avec les pays occidentaux, des réflexions au plus haut niveau de l'Etat sont menées pour moderniser l'économie chinoise.

     

    Dès les années 1860, un mouvement appelé Yangwu, ou « mouvement des idées à l'occidentale », est initié par des officiels. Des arsenaux et des chantiers navals sont créés. Dans les années 1870, un nouvel élan est donné à la création d'entreprises par des entrepreneurs privés chinois qui cherchent à investir dans des manufactures, des lignes de chemin de fer, etc. La situation financière de l'Etat central ne permet pas de débloquer des fonds : des crises monétaires (fuites d'argent, choix de l'étalon argent et non or), des crises intérieures et les indemnités pour les deux guerres de l'Opium (1839-1842 et 1858-1860) et autres traités internationaux, rendent impossibles des financements de ce type.

     

    Les piaohao ne répondent pas non plus aux nouveaux besoins de ces entrepreneurs privés. Leur problème tient notamment à leur taille limitée : la plupart appartiennent à un propriétaire unique ou à une association de propriétaires. Leurs capitaux sont limités et dispersés dans les succursales du pays. De plus, basés à Pingyao au Shanxi, les banquiers ne sont pas au contact des centres économiques du Sud et ne sentent pas l'évolution du pays qui entretient des relations avec les compagnies étrangères des ports ouverts. Enfin, ces banques du Shanxi et de Pingyao, peut-être plus conservatrices, n'investissent pas dans les projets industriels.

     

    La banque Rishengchang de Pingyao fait faillite en 1914 après quatre-vingt-dix ans d'existence. Les autres banques de la ville subissent le même sort ou déménagent. Pingyao tombe lentement dans un sommeil profond. La petite cité, difficile d'accès, n'est plus adaptée aux évolutions de l'économie chinoise du XXe siècle. C'est, paradoxalement, ce qui sauve la cité des bouleversements architecturaux modernes et nous permet aujourd'hui de visiter un ensemble resté quasi intact d'entrepôts, de maisons de commerce et de prêt, de banques et de propriétés particulières. Phénomène assez rare pour justifier son classement au Patrimoine mondial de l'Unesco.

     

      

      

    D'après un article de : www.historia.fr

      

      

     

    « histoire des pieds en Chinele BAMBOU »